Etats de stress et difficultés d’apprentissage

F. Llanes [1], Genève, Suisse

Ce travail est le fruit d’une longue pratique avec les adolescents en difficulté scolaire. Cette population s’auto-qualifie comme « cancres et/ou perturbateurs scolaires ». Après avoir consulté différents professionnels, service médico-pédagogique, psychiatres et psychologues de divers courants, soutien scolaire plus ou moins adapté, et avoir eu des diagnostics pas toujours en adéquation avec leur véritable problème, école, apprentissage, etc. ; mais conscients que malgré toutes les années de traitement les problèmes sont encore là et deviennent de plus en plus handicapants, et qu’il faut les prendre en main avant qu’il ne soit trop tard, ils viennent nous consulter.

Durant notre pratique des questions sont apparues : Comment améliorer la gestion du stress chez les adolescents souffrant de trouble d’attention, afin d’améliorer leurs performances et leur qualité de vie scolaire ? Comment les adolescents ayant un trouble de l’attention vivent-ils les situations stressantes de leur vie quotidienne ? De quelle manière le stress augmente-t-il le trouble d’attention, ou est-ce que le trouble d’attention qui augmente le stress ? Comment le stress inhibe-t-il les conduites mentalisées ? Les traumatismes subis par certains des adolescents sont-ils source du stress dans le trouble d’attention ?

Afin d’essayer de trouver des réponses à ces questions nous avons demandé aux 44 adolescents que nous avons suivis pendant l’année scolaire 2008-2009 (TDA/H [2] ou non) de nous parler de leur stress. Puis, nous avons choisi parmi eux, huit adolescents âgés entre 16 et 20 ans, qui présentent le TDA/H ou non, pour faire une étude de cas. Comme nous utilisons dans notre pratique le questionnaire de Conners pour les parents et le CISS [3] pour les adolescents, nous disposions déjà des informations fournies par ces deux questionnaires, et des informations extraites des entretiens avec les adolescents.

Dans le cadre de ce travail nous avons étudié l’influence des situations stressantes sur l’apprentissage scolaire chez les adolescents. Nous avons formulé l’hypothèse suivante :

Les adolescents TDA/H ont plus de difficulté que les autres adolescents à décrire leur propre état de stress et à comprendre l’impact de celui-ci sur leur apprentissage scolaire.

Nous avons étudié cette hypothèse à l’aide des questions suivantes :

Les états de stress perturbent-ils ou favorisent-ils l’apprentissage scolaire ?

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Quel est l’impact des événements traumatiques antérieurs éventuels (adoption, deuil, racket, violence, maltraitance, échec scolaire précédent, etc.) sur l’acquisition des connaissances et sur la réussite scolaire ?

Les adolescents hyperactifs et/ou inattentifs ont beaucoup de difficulté à évoquer les données stockées dans leur cerveau, et à faire les liens entre toutes les connaissances qu’ils ont accumulées pendant leur parcours scolaire plus ou moins chaotique. Ceci est une action qui pour eux est très difficile et qui crée de plus en plus de stress. C’est comme s’ils étaient dans une boucle infinie, plus ils apprennent et plus ils ont de connaissances et plus il est difficile pour eux de les stocker dans leur mémoire, de les restituer et de les combiner de manière originale pour progresser. D’après les théories de Piaget et Cellérier [4], pour intégrer une nouvelle connaissance, il faut que le sujet puisse reconnaître quelque chose de familier dans la nouveauté, c’est une condition nécessaire pour que celle-ci puisse être incorporée dans son système de connaissances. Le sujet aurait tout un système de petites briques de connaissances et de savoirs-faire, qu’il sollicite lorsqu’il apprend. Chez les sujets ayant des difficultés d’apprentissage, ce processus est soit interrompu, soit perturbé.

Quand le système est perturbé l’adolescent fait ses devoirs, apprend ses leçons mais a tellement peur de ne pas réussir le test, qu’il arrive à l’école déjà convaincu qu’il ne saura pas ses leçons, et lorsqu’il fait son épreuve, il n’est plus capable de se rappeler ce qu’il a appris. Ainsi, le stress vient perturber l’évocation et la restitution de ce que le jeune a essayé d’apprendre. Le processus est un peu différent chez l’hyperactif par rapport à une personne ne présentant pas cette maladie. L’étudiant qui n’a pas de trouble d’attention vous dira : « je n’ai pas travaillé assez ou j’ai mal travaillé, pour justifier un échec ». L’hyperactif vous dira : « j’y ai passé des heures à apprendre des notions qui n’ont pas de sens pour moi, je me concentre avec beaucoup de peine et cela a un sens et puis je me déconcentre et ça n’en a plus». Le travail du thérapeute doit alors se faire à plusieurs niveaux : travailler la capacité d’évocation et de restitution, renforcer la confiance en soi et en ses aptitudes scolaires, mais également trouver la manière de lui montrer que c’est lui qui réussit, parce qu’il met en route des outils appropriés et qu’il dispose des aptitudes nécessaires pour y arriver. Il faut aussi tenir compte que bien souvent l’enfant inattentif ou hyperactif réussit des tâches ou des exercices qui à première vue n’ont aucun rapport avec les connaissances scolaires en cours d’acquisition, mais échoue dès que la formulation des problèmes lui rappellent, même vaguement le contexte scolaire. Ce type de comportement répétitif conduit en général sur le long terme, soit au rejet de l’école, soit au fléchissement scolaire, malgré des aptitudes lui assurant une possibilité de réussite quasi normale.

Au cours de notre pratique, nous avons pu remarquer que même lorsque les moyennes restent insuffisantes, mais que tout à coup à une épreuve l’adolescent obtient une note de 3.5, inférieure d’un demi-point à la moyenne [5], cela produit une remontée en flèche de « l’estime de soi » et que des commentaires et une attitude plus positive de l’adolescent vis-à-vis de l’école commencent à avoir lieu. Les remarques du type « à quoi bon travailler, si c’est pour se planter » diminuent de manière très marquée. C’est pour cette raison qu’il nous semble essentiel de valoriser tous les points positifs

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de l’adolescent en difficulté. Il faut trouver des subterfuges pour les amener à remplacer pour un temps les mots dévalorisants pour la personne, « échec, angoisse de l’épreuve, nul, incapable, paresseux, …, etc » par d’autres connotés positivement « fait ce qu’il peut, capable, doué ailleurs qu’à l’école,… ».

Chaque adolescent va avoir une lecture différente de ses représentations et une réaction type dans sa manière de vivre et de gérer le stress et l’échec. Il y aurait une relation entre la représentation de l’échec scolaire et sa concrétisation, dans laquelle le stress joue un rôle primordial non seulement comme facteur précipitant mais également en tant que facteur aggravant du fléchissement scolaire dans un premier temps, puis de l’échec éventuel à l’école.

A tout cela il faut ajouter la dimension émotionnelle de l’adolescent, les répercussions des situations stressantes qui se répètent tous les jours, entraînent une fragilisation de l’estime de soi, et en parallèle un fléchissement scolaire qui grandit de jour en jour. Dans le cadre thérapeutique il faut évoquer cet aspect d’entrée et ne pas attendre. L’adolescent n’admettra pas facilement à la première séance que ses difficultés scolaires sont une source de stress. Ceci est dû probablement à la présence des parents lors de ce premier entretien.

Par la suite, le jeune vient seul aux séances et le thérapeute apprend en général très rapidement qu’il est très affecté d’avoir reçu l’étiquette de nul de la part d’un adulte de son entourage, bien souvent « un professeur parce qu’il n’arrivait pas à effectuer une tâche préalablement définie dans les temps ». Le problème est qu’une fois que l’adulte en charge de la classe a dit « tu es nul », ses propos vont être repris par les pairs, et vont renforcer sur le long terme la mauvaise image de soi de l’adolescent. L’estime de soi du jeune se retrouve ainsi à son plus bas niveau. Une fois ce niveau atteint, la rééducation est très difficile et surtout très longue. Il faut une attitude très encourageante des parents, des copains, des frères et sœurs, des enseignants, et l’élimination des qualificatifs qui blessent du vocabulaire des personnes encadrant l’enfant ou l’adolescent. Le discours de l’entourage doit être accentué sur les points positifs, en laissant de côté les faiblesses du jeune. C’est seulement de cette manière que la confiance en soi va germer à nouveau chez le jeune. L’entourage ne doit pas perdre de vue que le jeune hyperactif se décourage très facilement et perçoit les difficultés et les erreurs comme étant des échecs définitifs et non pas comme des obstacles qu’il peut surmonter.

Ces patients ont besoin d’une boîte d’outils qu’ils vont pouvoir adapter lorsque de nouveaux problèmes se présenteront aussi bien à l’école que dans leur vie quotidienne. Les outils que nous devons les aider à construire doivent leur donner une fois construits la possibilité d’être implémentés dans toutes les situations de la vie quotidienne et non seulement au niveau du comportement ou de l’école, et les conduire à avoir du plaisir à étudier. Etudier doit cesser d’être pour eux une corvée ou une source de grande souffrance.

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Notes

[1] Psychologue , diplômée 3ème cycle. Postgrade en recherche et enseignement “Stress, Traumatismes, Pathologies”. Faculté de Médecine, Université Pierre et Marie Curie, Paris VI

[2] Trouble d’attention avec hyperactivité

[3] Inventaire de Coping pour Situations Stressantes (CISS) de N. Endler, D. A. James & M. A. Parker. (48 affirmations distribuées au hasard : 16 mesurent le coping vers l’émotion, 16 celui vers la tâche, 16 autres la dimension évitement, 8 mesurent la distraction et 8 la diversion sociale).

[4] Inhelder B., Cellérier G., Le cheminement des découvertes de l’enfant. Recherche sur les microgenèses cognitives. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, Paris, 1992.

[5] En Suisse, la moyenne est de 4 sur 6.

2 thoughts on “Etats de stress et difficultés d’apprentissage

  1. Immédiatement ,en parallèle aux prémisses d’évocations « techniques »,j’apprécie les pensées humanistes centrées sur l’individu ….ce qui peut manquer chez les enseignants en france.

  2. Ce point de vue humaniste,me semble correspondre à partir de mon expérience personnelle,au fonctionnement réel de l’individu.
    Hélas, l’enseignement procède t-il toujours de ce point,de vue…..

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